Les populations provinciales du Caucase sont particulièrement hostiles aux queer.
Traduction publiée le 6 Avril 2019 7:50 GMT
Ce qui suit est une version adaptée d'un article écrit par Armine Avetisyan, Nika Musavi, et Dato Parulava, paru sur le site web OC Media, et republié dans le cadre d'un accord de partenariat.
Confrontées au harcèlement, aux discriminations et à la violence, les personnes queer du sud du Caucase sont régulièrement forcées de fuir leurs domiciles.
Mel d'Arménie
“J'étais encore à l'école maternelle lorsque j'ai pris conscience que j'étais né dans le corps de quelqu'un d'autre.”
“A l'école, on m'obligeait à écrire ‘écolière’ sur mes cahiers. J'effaçais le mot ‘fille’ [NdT ‘écolière’ se dit ‘schoolgirl’ en anglais] et les professeurs l'ajoutaient de nouveau et ainsi de suite. Mon développement s'est fait de manière très simple, il n'y a pas eu selon moi d'événement à l'origine de la découverte de mon identité car je me suis toujours vu comme un garçon”, confie à OC Media Mel Daluzyan. Le jeune homme a 30 ans et est originaire de Gyumri.
En dépit de tous ses efforts, aux yeux de la société, Mel était une fille prénommée Meline. Il pratique l'haltérophilie depuis 2002 et faisait partie de l'équipe nationale de la fédération féminine d'haltérophilie arménienne.
“Mon entraîneur a tenté de me motiver, me disant que Dieu m'avait créé ‘comme ça’ afin d'être doué pour soulever de lourdes charges et, à un moment donné, quand j'étais encore petit, j'ai essayé d'adopter moi aussi cette façon de voir. Mais je me suis rendu compte que, malgré tout, j'avais également droit à une vie privée, le droit d'être heureux, d'autant plus que ma vie et mon mode de vie ne blessent personne,” explique Mel.
Selon lui, lorsqu'il a participé au premier forum LGBT de Pink Armenia en 2015, et qu'une photo de groupe des participants a été publiée en ligne, les médias se sont mis à évoquer sa vie privée, ce qui a menacé sa carrière. Le champion détenteur à deux reprises du record européen et double médaillé de bronze aux championnats du monde a quitté Gyumri il y a deux ans, et s'est installé à l'étranger.
“J'ai quitté l'Arménie en 2016, après avoir passé un an à chercher sans succès un travail dans mon domaine. Il y a eu tant d'attitudes négatives à mon égard que je n'ai même pas réussi à trouver un travail d'entraîneur dans une salle de sport. A présent, je vis aux Pays-Bas, je n'ai subi aucune discrimination ici, mais un soutien inconditionnel à tous les niveaux. Pour le moment, je n'envisage pas une seconde de retourner en Arménie.”
Mel affirme que la vie est difficile à Gyumri pour ceux qui sont ‘différents’, en particulier s'ils sont célèbres.
“Gyumri est la ville arménienne la plus conservatrice. Le gros problème, c'était les ragots : tout le monde estimait qu'il était de son devoir suprême d'inventer un mythe me concernant pour expliquer ce qu'ils ne comprenaient pas, et les médias ont contribué à répandre ces rumeurs. Bien sûr, tout cela a créé des difficultés pour moi quand je suis arrivé dans mon nouvel environnement, quand j'ai dû reconstruire ma vie à partir de rien, mais en fin de compte, je suis parvenu à me présenter aux autres tel que je suis. J'ai su faire en sorte que mes amis ne laissent personne m'appeler “Meline.”
Selon Mel, cela n'aurait pas posé problème avec ses parents si la société ne s'en était pas mêlée.
“En Arménie, les personnes LGBT n'ont presque aucun droit. Evidemment, si vous avez une vie secrète, que vous étouffez votre propre identité, que vous contractez un mariage selon l'usage, il est possible de vivre ‘tranquillement’ en Arménie. Mais jugez vous-mêmes, comment cela peut-il être considéré comme une ‘vie tranquille’ ? Je n'ai pas d'amis qui ne se cachent pas et peuvent vivre ‘tranquillement’.”
L'homosexualité est légale en Arménie depuis 2003, mais les droits des personnes queer ne sont pas protégés par la loi. Un rapport de 2017 élaboré par l'association de défense des droits des queer Pink Armenia sur la situation des personnes queer en Arménie indique que malgré la tendance positive d'un certain nombre de médias à coopérer avec des associations et des personnes queer pour qu'elles racontent leur histoire, la population arménienne continue d'avoir une attitude en grande partie négative envers les queer.
Une étude menée en 2016 par Pink Armenia et le think tank the Caucasus Research Resource Center a démontré que 89% de la population arménienne pensait que les homosexuels ne devraient pas être autorisés à travailler avec des enfants.
L'étude a établi que les gens qui avaient moins de contact avec les personnes queer avaient des attitudes plus négatives envers elles que ceux qui en connaissaient.
Les membres d'associations de défense des droits des queer insistent sur le fait que, si les chiffres sont fluctuants, de nombreuses personnes queer quittent l'Arménie chaque année en raison de l'homophobie.
Tazo de Géorgie
A vingt-deux ans, Tazo Sozashvili ne peut pas rendre visite à sa famille à Kakheti, région dans l'est de la Géorgie où il est né. Il craint d'être harcelé du fait de sa sexualité. Il redoute ce que sa famille pourrait endurer si cela se produisait.
Tazo Sozashvili, 22 ans, originaire de Kakheti, dans l'est de la Géorgie (Dato Parulava/OC Media)
Tazo, qui travaille pour Equality Movement, une association pour les droits des queer, a fait les gros titres avec son discours émouvant au parlement géorgien en 2018.
“Je ne peux pas aller dans mon village voir mes parents, ma grand-mère et mon grand-père. J'ai subi des brimades à l'école pendant 12 ans. Je déteste me rendre sur place encore aujourd'hui car c'était terrible tous les jours, chaque jour je risquais ma vie. Actuellement, je ne peux pas rendre visite à mes parents à Kakheti car c'est dangereux. C'est la différence entre vous et moi. Jamais vous ne comprendrez combien cela me coûte de me tenir là et de dire cela car je vais avoir des ennuis. Jamais vous ne le comprendrez car vous êtes des blancs hétérosexuels privilégiés. Je vous déteste,” a déclaré Tazo le 1er mai, devant la commission sur les droits humains du parlement après qu'il est revenu sur sa promesse de célébrer la journée internationale contre l'homophobie.
En 2017, le bureau du procureur a examiné 86 crimes de haine présumés, dont 12 étaient fondés sur l'orientation sexuelle et 37 sur l'identité de genre.
Le rapport du défenseur public observe que la violence contre les personnes queer, au sein de la famille comme dans l'espace public, est un grave problème, et que le gouvernement s'est montré impuissant à faire face à ce défi.
Le discours de Tazo n'était pas planifié. Prenant conscience de ce que sa famille avait pu ressentir après l'avoir tout à coup vu à la télé, il a décidé de les mettre au fait et les a appelés. C'est à ce moment-là qu'il a révélé son homosexualité à sa mère.
“Elle a pleuré. Pourquoi as-tu fait quelque chose de pareil ? Que vont dire les gens ? Elle m'a posé la question d'un ton de reproche, mais elle ne s'exprimait pas avec colère mais avec regret”, confie Tazo.
Son téléphone était saturé de messages et d'appels. Beaucoup étaient encourageants mais d'autres venaient de personnes qui n'avaient rien compris.
Tazo n'a pas parlé à son père depuis qu'il a prononcé son discours.
“Tous nos proches et amis l'ont appelé. Il voulait jeter son téléphone. Ils lui ont témoigné de la compassion, ce qui est rare car certaines familles dans la même situation ont été forcées de quitter leur village,” explique Tazo.
Après qu'il a annoncé publiquement son homosexualité, plusieurs anciennes connaissances du village ont tenté de reprendre contact avec lui.
“Dix personnes environ que je connaissais du village m'ont envoyé des demandes d'amis sur Facebook. Ils m'ont demandé pourquoi je les pensais homophobes, m'ont dit qu'ils étaient là pour m'aider et que seul mon bien-être comptait,” rapporte Tazo.
Mais d'autres se sont montrés moins bienveillants. Il reçoit des menaces depuis plusieurs années maintenant.
“A présent, je suis quasiment sûr que je ne pourrai pas rentrer avant très très longtemps. On me menace depuis plusieurs années maintenant. Lorsque ces gars sont ensemble, ils sont très agressifs mais, séparément, ils m'ont dit qu'ils me comprenaient,” affirme Tazo.
Dans les jours qui ont suivi la déclaration en public de son homosexualité, Tazo n'a pas pu utiliser les transports publics. Il craignait d'être reconnu. Mais cela va mieux à présent.
“Certaines de mes connaissances m'ont dit qu'elles avaient vu en moi quelqu'un de complètement différent. Elles m'ont demandé si elles pouvaient faire quelque chose parce qu'elles ne veulent pas élever leurs enfants dans un environnement de ce genre,” témoigne le jeune homme.
Cependant, il relève qu'il n'en va pas de même pour les décideurs politiques. Il assure que très peu d'hommes et de femmes politiques considèrent le sujet comme un véritable problème en dehors de quelques-uns, mais ces derniers ne s'y intéressent pas.
Tazo se dit fier d'avoir porté la voix des “gens invisibles”.
“Ce n'est pas seulement mon histoire. C'est la voix et la souffrance de milliers de gens qui sont victimes de violences conjugales, qui sont expulsés de leur propre maison, rejetés par leurs parents, harcelés à l'école, victimes de discriminations au travail en raison de leur orientation sexuelle.”
“Au-delà d'une certaine limite, ce n'est tout simplement plus possible. Il viendra un moment où de nombreuses personnes s'exprimeront tout haut, comme moi, et où nous irons tous ensemble exiger des dirigeants politiques qu'ils agissent comme ils le doivent, et prennent leurs responsabilités,” déclare Tazo.
Elvira et Amina d’Azerbaïdjan
Elvira et Amina sont un couple originaire de Bakou. Leur vie a beaucoup changé depuis que OC Media s'est entretenu avec elles pour la première fois en septembre 2017.
La relation entre les deux femmes a rapidement évolué ; elles ont emménagé ensemble six mois après s'être rencontrées. Peu après, elles se sont mariées dans un pays européen où les mariages entre personnes du même sexe sont autorisés.
Le couple dit avoir senti que leur famille était vraiment nucléaire et que amis comme proches les percevaient de la même façon. Les parents d'Elvira et d'Amina, bien qu'avec réticence, se sont bientôt fait à l'idée qu'ils n'ont pas de beaux-fils mais des belles-filles. Le couple continuait toutefois de se sentir mal à l'aise en Azerbaïdjan et songea à émigrer.
“En tout premier lieu, nous en avions marre de vivre en secret, confie Amina. Ensuite, le certificat de mariage délivré en Europe n'était pas valide chez nous et, selon la loi, nous demeurions des étrangères l'une pour l'autre. Le jeune fils d'Elvira vit avec nous et c'est dur de lui expliquer qu'il ne doit pas parler ouvertement aux autres personnes. Et si les gens, par exemple à l'école maternelle, apprenaient à quoi ressemble notre famille ?”
Leur fils est malheureusement devenu le participant indirect à un quasi-drame criminel, qui a obligé la famille à quitter l'Azerbaïdjan.
“J'ai perdu de coûteux bijoux en or qui se trouvaient dans ma boîte à bijoux. Ils n'ont pu être volés que par la nounou de mon fils. Personne à part elle n'est restée seule dans notre appartement,” affirme Elvira.
Face à la police, la nounou n'a pas reconnu ou nié être coupable. Au lieu de cela, elle a fourni à l'enquêteur des preuves compromettantes sur ses employeuses – des photos et des vidéos intimes.
“De victimes, nous sommes devenues suspectes. Dans tous les cas, l'enquêteur nous a traitées comme des suspectes,” ajoute Elvira.
Après que l'officier de police s'est vu remettre le matériel compromettant, il a demandé à Elvira d'abandonner les charges, et pas seulement parce que la nounou pouvait publier en ligne leurs photos et vidéos personnelles. D'après lui, au cours de l'enquête, la police en viendrait à vérifier l'”apparence morale” du couple (bien qu'aux termes de la loi, cela ne soit pas justifié en cas de vol) et interrogerait leurs parents et collègues; elle pourrait même leur retirer la garde de leur fils. L'enquêteur a également conseillé à Elvira de surveiller de près Amina en tant que voleuse potentielle.
“C'était ignoble ! J'ai pris conscience que cette femme nous avait espionnées. J'ai éprouvé un sentiment d'insécurité, sous le regard scrutateur de l'enquêteur, et après m'être vue conseiller de faire profil bas, nous avons décidé de quitter le pays dès que possible.”
A la mi-mars 2018, la famille a acheté un aller simple pour les États-Unis.
Jusqu'en 2000, les liaisons entre personnes du même sexe étaient punies pénalement en Azerbaïdjan, avec des peines de plusieurs années de prison. En 2000, les relations entre personnes du même sexe sont devenues légales pour les individus de plus de 16 ans. Mais l'interdiction et la levée qui a suivi ne concernait que les hommes. La loi ne contenait pas la moindre mention des femmes queer.
L'Azerbaïdjan n'interdit pas les discriminations fondées sur l'orientation sexuelle. Dans des affaires de chantage, de licenciement et autres cas de harcèlement, les victimes peuvent juste déposer une plainte d'ordre général, par exemple pour violation des droits humains.
En 2014, l'alliance LGBT azérie Nefes a mené une étude sur les comportements envers les personnes queer. Les résultats ont montré que 56% des sondés considéraient qu'être queer était une maladie innée, 60% d'entre eux traitaient mal les personnes queer et 64% ne souhaitaient pas travailler avec elles. La plupart des sondés étaient des hommes jeunes ayant fait des études supérieures.
Un certain nombre de queer en Azerbaïdjan ont raconté à OC Media que les hommes queer étaient encore plus mal traités que les femmes queer. Le militant des droits humains Eldar Zeynalov explique que la société patriarcale azérie, au sein de laquelle les normes qui fixent la “masculinité” d'un homme sont élevées, est en grande partie responsable de cet état de fait.
“Pour un homme qui entretient une relation homosexuelle, c'est comme s'il “s'abaissait au niveau d'une femme” et s'humiliait, tout comme cela empiète sur la tradition et sur les fondements de la société,” indique Zeynalov.
Selon lui, il n'existe qu'un moyen d'accepter les personnes queer dans la société azérie : l'argent, le pouvoir ou les deux.
“Pour la majorité des gens en Azerbaïdjan, l'argent et le pouvoir sont un argument plus fort que les préférences sexuelles en faveur de la masculinité. On peut pardonner beaucoup à un homme riche et puissant, y compris le fait d'avoir des relations sexuelles avec quelqu'un du même sexe,” ajoute Zeylanov.
Amina et Elvira habitent maintenant aux États-Unis avec leur fils. Elles s'efforcent de trouver leur place : rechercher un travail, s'installer dans un nouvel appartement et se faire à l'idée de ne plus avoir peur que quelqu'un découvre la vérité sur elles.
https://fr.globalvoices.org/2019/04/06/234935/
Traduction publiée le 6 Avril 2019 7:50 GMT
Ce qui suit est une version adaptée d'un article écrit par Armine Avetisyan, Nika Musavi, et Dato Parulava, paru sur le site web OC Media, et republié dans le cadre d'un accord de partenariat.
Confrontées au harcèlement, aux discriminations et à la violence, les personnes queer du sud du Caucase sont régulièrement forcées de fuir leurs domiciles.
Mel d'Arménie
“J'étais encore à l'école maternelle lorsque j'ai pris conscience que j'étais né dans le corps de quelqu'un d'autre.”
“A l'école, on m'obligeait à écrire ‘écolière’ sur mes cahiers. J'effaçais le mot ‘fille’ [NdT ‘écolière’ se dit ‘schoolgirl’ en anglais] et les professeurs l'ajoutaient de nouveau et ainsi de suite. Mon développement s'est fait de manière très simple, il n'y a pas eu selon moi d'événement à l'origine de la découverte de mon identité car je me suis toujours vu comme un garçon”, confie à OC Media Mel Daluzyan. Le jeune homme a 30 ans et est originaire de Gyumri.
En dépit de tous ses efforts, aux yeux de la société, Mel était une fille prénommée Meline. Il pratique l'haltérophilie depuis 2002 et faisait partie de l'équipe nationale de la fédération féminine d'haltérophilie arménienne.
“Mon entraîneur a tenté de me motiver, me disant que Dieu m'avait créé ‘comme ça’ afin d'être doué pour soulever de lourdes charges et, à un moment donné, quand j'étais encore petit, j'ai essayé d'adopter moi aussi cette façon de voir. Mais je me suis rendu compte que, malgré tout, j'avais également droit à une vie privée, le droit d'être heureux, d'autant plus que ma vie et mon mode de vie ne blessent personne,” explique Mel.
Selon lui, lorsqu'il a participé au premier forum LGBT de Pink Armenia en 2015, et qu'une photo de groupe des participants a été publiée en ligne, les médias se sont mis à évoquer sa vie privée, ce qui a menacé sa carrière. Le champion détenteur à deux reprises du record européen et double médaillé de bronze aux championnats du monde a quitté Gyumri il y a deux ans, et s'est installé à l'étranger.
“J'ai quitté l'Arménie en 2016, après avoir passé un an à chercher sans succès un travail dans mon domaine. Il y a eu tant d'attitudes négatives à mon égard que je n'ai même pas réussi à trouver un travail d'entraîneur dans une salle de sport. A présent, je vis aux Pays-Bas, je n'ai subi aucune discrimination ici, mais un soutien inconditionnel à tous les niveaux. Pour le moment, je n'envisage pas une seconde de retourner en Arménie.”
Mel affirme que la vie est difficile à Gyumri pour ceux qui sont ‘différents’, en particulier s'ils sont célèbres.
“Gyumri est la ville arménienne la plus conservatrice. Le gros problème, c'était les ragots : tout le monde estimait qu'il était de son devoir suprême d'inventer un mythe me concernant pour expliquer ce qu'ils ne comprenaient pas, et les médias ont contribué à répandre ces rumeurs. Bien sûr, tout cela a créé des difficultés pour moi quand je suis arrivé dans mon nouvel environnement, quand j'ai dû reconstruire ma vie à partir de rien, mais en fin de compte, je suis parvenu à me présenter aux autres tel que je suis. J'ai su faire en sorte que mes amis ne laissent personne m'appeler “Meline.”
Selon Mel, cela n'aurait pas posé problème avec ses parents si la société ne s'en était pas mêlée.
“En Arménie, les personnes LGBT n'ont presque aucun droit. Evidemment, si vous avez une vie secrète, que vous étouffez votre propre identité, que vous contractez un mariage selon l'usage, il est possible de vivre ‘tranquillement’ en Arménie. Mais jugez vous-mêmes, comment cela peut-il être considéré comme une ‘vie tranquille’ ? Je n'ai pas d'amis qui ne se cachent pas et peuvent vivre ‘tranquillement’.”
L'homosexualité est légale en Arménie depuis 2003, mais les droits des personnes queer ne sont pas protégés par la loi. Un rapport de 2017 élaboré par l'association de défense des droits des queer Pink Armenia sur la situation des personnes queer en Arménie indique que malgré la tendance positive d'un certain nombre de médias à coopérer avec des associations et des personnes queer pour qu'elles racontent leur histoire, la population arménienne continue d'avoir une attitude en grande partie négative envers les queer.
Une étude menée en 2016 par Pink Armenia et le think tank the Caucasus Research Resource Center a démontré que 89% de la population arménienne pensait que les homosexuels ne devraient pas être autorisés à travailler avec des enfants.
L'étude a établi que les gens qui avaient moins de contact avec les personnes queer avaient des attitudes plus négatives envers elles que ceux qui en connaissaient.
Les membres d'associations de défense des droits des queer insistent sur le fait que, si les chiffres sont fluctuants, de nombreuses personnes queer quittent l'Arménie chaque année en raison de l'homophobie.
Tazo de Géorgie
A vingt-deux ans, Tazo Sozashvili ne peut pas rendre visite à sa famille à Kakheti, région dans l'est de la Géorgie où il est né. Il craint d'être harcelé du fait de sa sexualité. Il redoute ce que sa famille pourrait endurer si cela se produisait.
Tazo Sozashvili, 22 ans, originaire de Kakheti, dans l'est de la Géorgie (Dato Parulava/OC Media)
Tazo, qui travaille pour Equality Movement, une association pour les droits des queer, a fait les gros titres avec son discours émouvant au parlement géorgien en 2018.
“Je ne peux pas aller dans mon village voir mes parents, ma grand-mère et mon grand-père. J'ai subi des brimades à l'école pendant 12 ans. Je déteste me rendre sur place encore aujourd'hui car c'était terrible tous les jours, chaque jour je risquais ma vie. Actuellement, je ne peux pas rendre visite à mes parents à Kakheti car c'est dangereux. C'est la différence entre vous et moi. Jamais vous ne comprendrez combien cela me coûte de me tenir là et de dire cela car je vais avoir des ennuis. Jamais vous ne le comprendrez car vous êtes des blancs hétérosexuels privilégiés. Je vous déteste,” a déclaré Tazo le 1er mai, devant la commission sur les droits humains du parlement après qu'il est revenu sur sa promesse de célébrer la journée internationale contre l'homophobie.
En 2017, le bureau du procureur a examiné 86 crimes de haine présumés, dont 12 étaient fondés sur l'orientation sexuelle et 37 sur l'identité de genre.
Le rapport du défenseur public observe que la violence contre les personnes queer, au sein de la famille comme dans l'espace public, est un grave problème, et que le gouvernement s'est montré impuissant à faire face à ce défi.
Le discours de Tazo n'était pas planifié. Prenant conscience de ce que sa famille avait pu ressentir après l'avoir tout à coup vu à la télé, il a décidé de les mettre au fait et les a appelés. C'est à ce moment-là qu'il a révélé son homosexualité à sa mère.
“Elle a pleuré. Pourquoi as-tu fait quelque chose de pareil ? Que vont dire les gens ? Elle m'a posé la question d'un ton de reproche, mais elle ne s'exprimait pas avec colère mais avec regret”, confie Tazo.
Son téléphone était saturé de messages et d'appels. Beaucoup étaient encourageants mais d'autres venaient de personnes qui n'avaient rien compris.
Tazo n'a pas parlé à son père depuis qu'il a prononcé son discours.
“Tous nos proches et amis l'ont appelé. Il voulait jeter son téléphone. Ils lui ont témoigné de la compassion, ce qui est rare car certaines familles dans la même situation ont été forcées de quitter leur village,” explique Tazo.
Après qu'il a annoncé publiquement son homosexualité, plusieurs anciennes connaissances du village ont tenté de reprendre contact avec lui.
“Dix personnes environ que je connaissais du village m'ont envoyé des demandes d'amis sur Facebook. Ils m'ont demandé pourquoi je les pensais homophobes, m'ont dit qu'ils étaient là pour m'aider et que seul mon bien-être comptait,” rapporte Tazo.
Mais d'autres se sont montrés moins bienveillants. Il reçoit des menaces depuis plusieurs années maintenant.
“A présent, je suis quasiment sûr que je ne pourrai pas rentrer avant très très longtemps. On me menace depuis plusieurs années maintenant. Lorsque ces gars sont ensemble, ils sont très agressifs mais, séparément, ils m'ont dit qu'ils me comprenaient,” affirme Tazo.
Dans les jours qui ont suivi la déclaration en public de son homosexualité, Tazo n'a pas pu utiliser les transports publics. Il craignait d'être reconnu. Mais cela va mieux à présent.
“Certaines de mes connaissances m'ont dit qu'elles avaient vu en moi quelqu'un de complètement différent. Elles m'ont demandé si elles pouvaient faire quelque chose parce qu'elles ne veulent pas élever leurs enfants dans un environnement de ce genre,” témoigne le jeune homme.
Cependant, il relève qu'il n'en va pas de même pour les décideurs politiques. Il assure que très peu d'hommes et de femmes politiques considèrent le sujet comme un véritable problème en dehors de quelques-uns, mais ces derniers ne s'y intéressent pas.
Tazo se dit fier d'avoir porté la voix des “gens invisibles”.
“Ce n'est pas seulement mon histoire. C'est la voix et la souffrance de milliers de gens qui sont victimes de violences conjugales, qui sont expulsés de leur propre maison, rejetés par leurs parents, harcelés à l'école, victimes de discriminations au travail en raison de leur orientation sexuelle.”
“Au-delà d'une certaine limite, ce n'est tout simplement plus possible. Il viendra un moment où de nombreuses personnes s'exprimeront tout haut, comme moi, et où nous irons tous ensemble exiger des dirigeants politiques qu'ils agissent comme ils le doivent, et prennent leurs responsabilités,” déclare Tazo.
Elvira et Amina d’Azerbaïdjan
Elvira et Amina sont un couple originaire de Bakou. Leur vie a beaucoup changé depuis que OC Media s'est entretenu avec elles pour la première fois en septembre 2017.
La relation entre les deux femmes a rapidement évolué ; elles ont emménagé ensemble six mois après s'être rencontrées. Peu après, elles se sont mariées dans un pays européen où les mariages entre personnes du même sexe sont autorisés.
Le couple dit avoir senti que leur famille était vraiment nucléaire et que amis comme proches les percevaient de la même façon. Les parents d'Elvira et d'Amina, bien qu'avec réticence, se sont bientôt fait à l'idée qu'ils n'ont pas de beaux-fils mais des belles-filles. Le couple continuait toutefois de se sentir mal à l'aise en Azerbaïdjan et songea à émigrer.
“En tout premier lieu, nous en avions marre de vivre en secret, confie Amina. Ensuite, le certificat de mariage délivré en Europe n'était pas valide chez nous et, selon la loi, nous demeurions des étrangères l'une pour l'autre. Le jeune fils d'Elvira vit avec nous et c'est dur de lui expliquer qu'il ne doit pas parler ouvertement aux autres personnes. Et si les gens, par exemple à l'école maternelle, apprenaient à quoi ressemble notre famille ?”
Leur fils est malheureusement devenu le participant indirect à un quasi-drame criminel, qui a obligé la famille à quitter l'Azerbaïdjan.
“J'ai perdu de coûteux bijoux en or qui se trouvaient dans ma boîte à bijoux. Ils n'ont pu être volés que par la nounou de mon fils. Personne à part elle n'est restée seule dans notre appartement,” affirme Elvira.
Face à la police, la nounou n'a pas reconnu ou nié être coupable. Au lieu de cela, elle a fourni à l'enquêteur des preuves compromettantes sur ses employeuses – des photos et des vidéos intimes.
“De victimes, nous sommes devenues suspectes. Dans tous les cas, l'enquêteur nous a traitées comme des suspectes,” ajoute Elvira.
Après que l'officier de police s'est vu remettre le matériel compromettant, il a demandé à Elvira d'abandonner les charges, et pas seulement parce que la nounou pouvait publier en ligne leurs photos et vidéos personnelles. D'après lui, au cours de l'enquête, la police en viendrait à vérifier l'”apparence morale” du couple (bien qu'aux termes de la loi, cela ne soit pas justifié en cas de vol) et interrogerait leurs parents et collègues; elle pourrait même leur retirer la garde de leur fils. L'enquêteur a également conseillé à Elvira de surveiller de près Amina en tant que voleuse potentielle.
“C'était ignoble ! J'ai pris conscience que cette femme nous avait espionnées. J'ai éprouvé un sentiment d'insécurité, sous le regard scrutateur de l'enquêteur, et après m'être vue conseiller de faire profil bas, nous avons décidé de quitter le pays dès que possible.”
A la mi-mars 2018, la famille a acheté un aller simple pour les États-Unis.
Jusqu'en 2000, les liaisons entre personnes du même sexe étaient punies pénalement en Azerbaïdjan, avec des peines de plusieurs années de prison. En 2000, les relations entre personnes du même sexe sont devenues légales pour les individus de plus de 16 ans. Mais l'interdiction et la levée qui a suivi ne concernait que les hommes. La loi ne contenait pas la moindre mention des femmes queer.
L'Azerbaïdjan n'interdit pas les discriminations fondées sur l'orientation sexuelle. Dans des affaires de chantage, de licenciement et autres cas de harcèlement, les victimes peuvent juste déposer une plainte d'ordre général, par exemple pour violation des droits humains.
En 2014, l'alliance LGBT azérie Nefes a mené une étude sur les comportements envers les personnes queer. Les résultats ont montré que 56% des sondés considéraient qu'être queer était une maladie innée, 60% d'entre eux traitaient mal les personnes queer et 64% ne souhaitaient pas travailler avec elles. La plupart des sondés étaient des hommes jeunes ayant fait des études supérieures.
Un certain nombre de queer en Azerbaïdjan ont raconté à OC Media que les hommes queer étaient encore plus mal traités que les femmes queer. Le militant des droits humains Eldar Zeynalov explique que la société patriarcale azérie, au sein de laquelle les normes qui fixent la “masculinité” d'un homme sont élevées, est en grande partie responsable de cet état de fait.
“Pour un homme qui entretient une relation homosexuelle, c'est comme s'il “s'abaissait au niveau d'une femme” et s'humiliait, tout comme cela empiète sur la tradition et sur les fondements de la société,” indique Zeynalov.
Selon lui, il n'existe qu'un moyen d'accepter les personnes queer dans la société azérie : l'argent, le pouvoir ou les deux.
“Pour la majorité des gens en Azerbaïdjan, l'argent et le pouvoir sont un argument plus fort que les préférences sexuelles en faveur de la masculinité. On peut pardonner beaucoup à un homme riche et puissant, y compris le fait d'avoir des relations sexuelles avec quelqu'un du même sexe,” ajoute Zeylanov.
Amina et Elvira habitent maintenant aux États-Unis avec leur fils. Elles s'efforcent de trouver leur place : rechercher un travail, s'installer dans un nouvel appartement et se faire à l'idée de ne plus avoir peur que quelqu'un découvre la vérité sur elles.
https://fr.globalvoices.org/2019/04/06/234935/
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